Le sermon du lendemain

Lundi 15 février 2016

"Jésus rempli d'Esprit Saint, revint du Jourdain et il était dans le désert, conduit par l'Esprit, pendant quarante jours, et il était tenté par le diable" (Luc 4.1-2 - TOB)

"La tentation au désert ou comment Jésus est-il Fils de Dieu "

"Si tu es fils de Dieu..." (Luc 4.1-13)

Trois offres du diable à Jésus à l'aube de son ministère, visant à préciser ce que la Voix a bien voulu dire au Jourdain quand elle a déclaré à propos de Jésus : "Tu es mon fils, moi aujourd'hui, je t'ai engendré" (Luc 3.22). Comment Jésus est-il Fils de Dieu, tel est l'enjeu du récit de la tentation au désert.

Luc 4.1-13 (TOB)

1 Jésus, rempli d’Esprit Saint, revint du Jourdain et il était dans le désert, conduit par l’Esprit, 2 pendant quarante jours, et il était tenté par le diable.
Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim. 3 Alors le diable lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » 4 Jésus lui répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra. » 5 Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre 6 et lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c’est à moi qu’il a été remis et que je le donne à qui je veux. 7 Toi donc, si tu m’adores, tu l’auras tout entier. » 8 Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c’est à lui seul que tu rendras un culte. » 9 Le diable le conduisit alors à Jérusalem ; il le plaça sur le faîte du temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; 10 car il est écrit : Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder, 11 et encore : ils te porteront sur leurs mains pour t’éviter de heurter du pied quelque pierre. » 12 Jésus lui répondit : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
13 Ayant alors épuisé toute tentation possible, le diable s’écarta de lui jusqu’au moment fixé.

Pourquoi Jésus jeûne-t-il ?(avec l'accent circonflexe !)

Parce qu'il a besoin de sentir se creuser en lui une attente, une faim, un désir.

Le diable, au contraire, interprète le manque comme une frustration. Il faut assouvir ses faims et non les interroger. Les vides sont faits pour être comblés ; les manques apparaissent comme une preuve de faiblesse.

Jésus, revisite l'expérience du manque pour en démontrer la caractère fécond et indispensable à toute vie véritable. Le manque nous tend vers autre chose que nous-même. En même temps, on ne peut s'y installer définitivement. Le désert est un passage, pas un lieu de vie. Il est là pour creuser en nous une attente, non pour la remplir. Regardez les pieds du diable sur le vitrail... Ils sont tournés vers l'intérieur, vers soi, vers l'assouvissement. Pas de marche, pas de rencontre possible. Il campe résolument sur la disposition du "pour-soi".

Le diable veut nous convaincre que le manque, le dénuement est une menace. Qu’il nous faut tout prévoir, tout planifier et remplir nos placards. Le consumérisme, c'est le salut selon le diable ! 

Le chrétien doit  au contraire accueillir l'expérience du manque comme une chance offerte de faire la part entre l'essentiel et le dérisoire. La pauvreté n'est pas une défaite, mais le lieu possible d'une rencontre avec Dieu.

La pierre en pain  (4.3-4)

Le diable invite maintenant Jésus à préciser le sens de sa filiation divine. Comment Jésus est-il Fils de Dieu ? « Si tu es le Fils de Dieu, fais un miracle. Révèle-toi comme Fils Tout-puissant !" Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela d'ailleurs ? Le diable loin des représentations médiévales avec cornes et fourche, n'a-t-il pas un discours très pieux, un discours qui ressemble à une certaine prédication de l’Eglise ? Toutes ces prières que nous adressons à Jésus : « Si tu es vraiment le Fils de Dieu, fait cesser la guerre en Syrie !  Si tu es le Fils de Dieu, fais ceci, fais cela ! Règle le problème de la faim dans le monde, change ces montagnes de pierre en montagne de pain !"

Le diable veut que Jésus s’impose comme Dieu absolu et indiscutable ; le Dieu aux pouvoirs illimités. Elle est là la tentation du Christ : Renoncer à l'épreuve du vide pour se remplir du plein des évidences ; choisir la reconnaissance immédiate, et quitter la solitude d'un espace de rencontre avec Dieu et son prochain. Et s’il change maintenant la pierre en pain, en quoi sera-t-il différent des autres dieux tous façonnés à l'image de l'homme ? A quel changement nous appellerait-il ? A quelle espérance ?

« L’homme ne vivra pas de pain seulement… » Il y a donc autre chose à trouver ? Matthieu, dans son évangile répond à la question : « Mais de toute parole qui sort la bouche de Dieu. » (Mat 4.4).  Luc plus subtilement, n'ajoute rien, creusant ainsi en nous une attente, une faim de quelque chose. C'est à chacun de trouver ce qu'il y a à trouver.

Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu

Parce qu'on ne peut pas tout dire, je choisis de m’intéresser à la troisième tentation… (La seconde m'interpèlerait-elle trop ? ;)

Après l'avoir conduit "plus haut" (v.5), le diable l’emmène maintenant tout en haut : pour les juifs, le toit du temple, c’est le toit du monde ! C'est surtout le lieu de la Parole...

« Si tu es le fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas, Dieu donnera pour toi ordre à ses anges..."

Le diable cite la Bible, le Psaume 91.11-12 ; comme le serpent dans le livre de la Genèse. Son intention est d'inviter Jésus à une certaine lecture de la Bible.

Une lecture à la fois littéraliste et partisane. Littéraliste, parce que si "Dieu a dit", il ne faut pas chercher à comprendre, à interpréter (n'est-il pas écrit : "tout ce qu'on ajoute vient du mauvais ! Mat 5.37), il faut donc sauter ! Partisane, parce qu'on prend un petit bout de la Bible et on lui fait dire ce que l’on veut. La lecture littéraliste fait violence à la parole de Dieu. Que dit le psaume 91 ? Il ne parle pas de saut dans le vide, mais de demeurer en Dieu : « Oui, Seigneur j’ai fait de toi mon refuge ! » (v.9). Jésus récuse ici la lecture fondamentaliste de la Bible ; il nous invite à cheminer dans le souffle d'une Parole vivante et non à idolâtrer la lettre.

« Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Autrement dit, tu ne lui demanderas pas des choses qu’il t’a déjà données ! Au contraire, tu vivras dans la confiance et la reconnaissance en toutes circonstances.

L'an prochain à Jérusalem ?

Devant tant de simplicité et de foi, le diable est épuisé ;  il s’écarte. Littéralement "jusqu’au temps" … Quel temps ? Le temps du prochain rendez-vous à Jérusalem, un certain vendredi soir.

Le diable n'était-il pas à Gethsémané, suggérant l'éloignement de la coupe de douleur ? Une nouvelle fois, Dieu n’enverra aucun ange porter Jésus. Mais dans cette solitude, ce vide, cette passion pour l’humanité, s'accomplira le salut du monde.

C’est Jésus seul, et non les anges, qui portera le monde afin que la mort ne soit plus et que la vie nous soit donnée en abondance.

C'est lui enfin qui creusera le vide de ce tombeau de Pâques, comme au désert s'était creusé en lui l'amour pour notre humanité.

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Nous sommes aujourd'hui emmenés dans le désert des tentations. Ces traces dans le sable sont celles de Jésus, ce sont aussi les nôtres. Le désert lieu de combat, lieu de retraite où chacun est invité à découvrir l'expérience du manque, préalable indispensable à toute rencontre avec Dieu.