Le sermon du lendemain

Lundi 11 janvier 2016 (Méditation de Luc 2.41-52)

"Les retrouvailles au temple" William Holman Hunt (1854-1860)

"Ecoute, questionnement et soumission"

"Ils le trouvèrent dans le temple, au milieu des maîtres, les écoutant" et les interrogeant" (Luc 2.47)

Quelque chose me dérange un peu dans le fait de me glisser dans cette nouvelle année exactement comme je m'étais glissé dans la précédente, comme si tout devait être éternel recommencement... Nos cultes au rythme des temps liturgiques ; nos rituels immuables, nos évangiles du jour, nos places dans l'assemblée et nos savants équilibres relationnels. Et tout cela, alors que le sauveur du monde est né et qu’il a tout changé ! Quelques jours ont passé en 2016 et déjà je me demande ce que nous avons fait de Jésus ?

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Luc 2, 41-52 (NBS)

41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem, pour la fête de la Pâque.

42 Lorsqu'il eut douze ans, ils y montèrent selon la coutume de la fête. 43 Puis, quand les jours furent achevés et qu'ils s'en retournèrent, l'enfant Jésus resta à Jérusalem, mais ses parents ne s'en aperçurent pas. 44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de voyage, ils firent une journée de chemin et le cherchèrent parmi les gens de leur parenté et leurs connaissances. 45 Mais ils ne le trouvèrent pas et retournèrent à Jérusalem en le cherchant. 46 Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, les écoutant et les interrogeant. 47 Tous ceux qui l'entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. 48 Quand ils le virent, ils furent ébahis ; sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse ! 49 Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que j'ai à faire chez mon Père ? 50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait. 51 Puis il descendit avec eux à Nazareth ; il leur était soumis. Sa mère retenait toutes ces choses.

52 Et Jésus progressait en sagesse, en stature et en grâce auprès de Dieu et des humains. 

On a perdu l'enfant Jésus !

Joseph et Marie, les figures très saintes de l’évangile de Noël ont perdu l’enfant Jésus ! Ça commence bien. On imagine le couple très embêtés, un peu comme ces parents inquiets qui font appeler leur enfant au micro du supermarché. 

Luc nous raconte-t-il là une anecdote de la vie ordinaire d’une famille ordinaire ou veut-il nous dire autre chose ? Cette distance qui sépare maintenant Jésus de ses parents est-elle vraiment la distance d’une journée de marche à pied entre Jérusalem et Nazareth ou creuse-t-elle entre eux une distance d’une autre nature ?

Sainte famille ou parents indignes ?

Voilà aujourd’hui douze ans que leur enfant est né à Bethléem. Merveilleux temps de l’Avent et de Noël que Marie a souvent repassé sur son cœur (2.19) : l’annonce de l’ange, le chant des bergers, la crèche, la prophétie du vieux Syméon... Ces signes extraordinaires avaient formé avec les prophéties bibliques un faisceau d’indices, apportant la preuve que cette nuit-là avait donné naissance à un Dieu.

Que s’est-il donc passé depuis douze ans dans la famille du petit Jésus ? On ne sait pratiquement rien de cette longue période. Mais le peu que nous savons nous éloigne beaucoup de la magie de Noël.

Cela paraît presque incroyable mais depuis cette folle nuit, Joseph et Marie ont repris une vie normale ; ils sont redevenus Monsieur et Madame tout le monde ! 

En Israël, l’existence ordinaire des familles va au rythme des fêtes religieuses. Joseph et Marie sont allés ainsi chaque année célébrer la Pâque juive à Jérusalem. En cette douzième année : « Ils y montèrent selon la coutume de la fête ».

Et « quand les jours furent achevés » précise Luc, ils rentrèrent à Nazareth. Voilà une vie réglée par le calendrier liturgique. Il n’y a plus de questions à se poser. Joseph et Marie ont une vie parfaitement conforme à la loi et soumise aux règles religieuses. Et c’est dans ce rythme imperturbable des fêtes et des années qu’ils perdent Jésus ! Une distance vient de se creuser entre eux et leur fils, entre leur vision de la vie et la sienne.

Un Noël pour rien ?

Cette distance s’accroît encore par la remarque cinglante de Jésus au temple : « Pourquoi me cherchez-vous ? Je dois m’occuper des affaires de mon Père ! » Qui est alors Joseph, si Jésus a une autre père ? Et qui est ce fils dont la trajectoire de vie semble s’infléchir loin du contrôle et des orientations parentales, vers un autre service, celui d’un autre Père ?

Les mondes selon Luc

Luc semble vouloir opposer deux mondes ici. Le monde de l’héritage religieux et identitaire qui façonne nos pensées et nos comportements, nos prières et nos bonnes actions. Chaque religion génère ses rites et ses œuvres de charité, ses pèlerinages et ses calendriers, ses obligations morales et ses systèmes de rétribution. Le monde de Marie et Joseph, c’est encore le monde des reproches dès que quelqu’un s’écarte du droit chemin  : « Pourquoi nous as-tu fait ça ? ».

Le monde de la sainte famille est devenu le monde de tout le monde, un monde plat ou les gens vivent et meurent sans se poser de question. Parce que la religion est conçue pour n’avoir que des réponses à donner ! Un monde où la nuit de Noël a perdu toute présence. Noël n’a finalement rien changé.

De Nazareth à Jérusalem, il y a loin !

De l’autre côté, Jérusalem. C'est le monde de Jésus. On le retrouve au temple. Et on pourrait imaginer, en lisant vite, que cette fugue de jeunesse annonce une belle vocation pastorale ! Mais Jésus n’est pas venu éprouver son appel. Il vient à la rencontre des gens, de ceux qui savent ou prétendent savoir qui est Dieu. Il n’est pas venu prêcher comme le décrivent les grands peintres, ni déposer son enseignement comme le font les maîtres. Luc nous décrit avec soin l’attitude de Jésus : « Il les écoutait et les interrogeait », voilà une bien belle manière d’être pasteur, vous ne trouvez pas ? Ecouter et questionner, c’est permettre à l’autre d’exister librement dans la relation. C’est aussi l’amener à interroger ses propres convictions, l’inviter à un déplacement dont il doit trouver lui-même le chemin. C’est en cela que Jésus étonne tout le monde. Voici un maître qui n'assène ni n’assomme, qui ne brandit pas l'anathème ni ne respire pas la menace religieuse. Pour écouter, pour interroger, il faut s’ouvrir au monde intérieur de ceux qui sont là. Et si votre monde intérieur est bâti sur la culpabilité, s’il se construit sur le donnant-donnant, la rétribution et qu’il produit en vous la peur d’échouer, alors… Jésus a des questions à vous poser : il n’y a pas d’écoute sans amour, pas d’amour vrai sans confrontation !

Alors, où est Jésus ?

Marie a beau repasser dans son cœur les événements du passé et ceux qui se déroulent aujourd’hui sous ses yeux, elle et Joseph ne comprennent plus. Ils sont un peu comme vous et moi, plus prompts à se réfugier dans les certitudes immobiles, les vérités sécurisantes, les traditions et les calendriers qui nous disent comment faire et refaire.

Et en même temps, je trouve cette mère et ce père extrêmement touchants. A leur façon, avec leurs infirmités, leurs maladresses, leur autisme parental, ils partent malgré tout à la recherche de Jésus. Au bout de trois jours, ils le retrouvent. Trois jours… C’est aussi le temps qu’il faudra aux femmes pour découvrir le tombeau vide et au Christ pour en sortir. Il y a au moins autant d'incompréhension que d’amour dans cette recherche inquiète, dans cette course qui les ramène à leur fils.

Happy end...

Luc achève son récit. Tout rentre dans l’ordre. Jésus rentre à la maison, bien sagement avec papa et maman. « Il leur était soumis » écrit Luc. C’est aussi cela l’amour du Christ pour notre humanité. Il n’impose pas ses droits ; il se soumet à nos aveuglements, par amour ;  Dans quelques années, il reviendra à Jérusalem, pour se soumettra cette fois au verdict de sa mise en croix !

Ecoute, questionnement et soumission : voilà le mystère de Noël qui prend corps, grandit en sagesse, stature et grâce !

Au moment où en ce début d'année, nous nous apprêtons à regagner nos pénates ecclésiales, sachons que le Seigneur nous accompagne, écoutant nos questions, questionnant nos certitudes et se soumettant à nos décisions. Il reste avec nous, coûte que coûte.

Mais il espère aussi en silence que bientôt, peut-être, nous nous ouvrirons à notre tour au mystère de Noël, au mystère de la croix, aux secrets de l’écoute, à la force du juste questionnement et la soumission joyeuse au règne de l’amour. Amen !

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Ces traces dans le sable pourraient être aujourd'hui celles de Marie et Joseph allant de leurs certitudes Nazaréennes vers l'énigme que représente leur fils resté  à Jérusalem. Se rencontreront-ils ?