La loi du talion se trouve dans la Bible (Exode 21.24 et ailleurs) et bien avant la Bible, dans le code d’Hammourabi (civilisation assyrienne 1730 av. J.C, dont la stèle se trouve au Musée du Louvre.)
La loi du talion propose un système équitable du traitement de la justice. Elle permet un vivre ensemble social. Sa logique pour rétablir la justice est circulaire, facile à comprendre : la logique du donnant-donnant. Ce système de régulation de la violence permet notamment la protection des plus faibles. Elle nous invite à considérer l’autre comme un autre soi-même, un semblable.
Le problème, c’est que l’autre n’est pas que "semblable", il est aussi "autre", différent, toujours plus compliqué que ce qu’il laisse (entre) voir ou entendre de lui-même. Il y a de l’inconnu, du mystère chez nos semblables. Ils ne sont pas aussi semblables qu’ils en ont l’air ! C’est pourquoi, on peut dire que le prochain est à la fois « même » et « autre ». Il est celui que je vois mais dont je ne perce pas le mystère.
Jésus propose ici une logique beaucoup plus respectueuse de notre complexité humaine. Ce n’est plus la réciprocité millimétrée du donnant-donnant qui va réguler nos rapports, mais une autre logique, une folie, celle de l’excès, de la surabondance et du don de soi (Elian Cuvillier - le Sermon sur la Montagne) ! Le Sermon sur la Montagne ne cherche plus l’équilibre relationnel mais le déséquilibre, l’excès relationnel. Il nous conduit à un point de rupture non pas avec l’autre mais avec nous–mêmes ; un point de non-retour aux certitudes initiales ; une ouverture confiante à l’inconnu, au mystère irréductible de l’autre.
Ça ne veut pas dire qu’on va abandonner la loi du talion. Elle reste nécessaire pour réguler de manière générale les sociétés humaines.
En principe, quand la barbarie entre en action, on ne va pas lui tendre l’autre joue ; on lui applique la loi du talion.
Mais disant cela, je doute aussitôt… Parce que je suis convaincu qu’au fond de n’importe quel terroriste, il y a un enfant perdu, un pauvre gosse, crédule, misérable dont d’autres ont pris possession et manipulent à distance. Je pense en particulier à ce gamin qui s’est fait exploser rue Voltaire à Paris, tout seul, ce vendredi-là... il n’a tué que lui. Mon Dieu, quelle solitude, quelle désespérance !
Je n’aime pas ces slogans, ces petites phrases des va-t-en guerre de droite et de gauche bombant le torse ; ces marseillaises en boucle qui simulent, dans le feu de l’émotion, une unité nationale et internationale construite sur l’esprit de vengeance et, sans oser le dire franchement, sur la haine de tous les musulmans.
Le « mais moi je vous dis » de Jésus résonne comme le surgissement d'une surprise divine au cœur de notre humanité souffrante ; comme un don.
Nous sommes invités à nous laisser surprendre, envahir peut-être, par cette parole de Dieu portée par le Christ.
On ne tend pas l’autre joue en prenant des cours de zen ou de sanctification accélérés, mais en laissant la grâce agir ! En constatant, émerveillés (et souvent après coup), l’effet de son irruption, de son passage au sein d’un conflit insoluble, de son travail au cœur d’une violence relationnelle fratricide.
Frères et sœurs, rappelons-nous que cette parole du Seigneur nous est dite aujourd’hui premièrement pour nous surprendre et perturber le cycle inéluctable de la violence.
Elle vient deuxièmement orienter nos regards vers le monde qui vient, un monde tout autre, un monde sans violence ; un monde déjà là en espérance, perceptible dans un regard fraternel, un sourire, une parole qui élève, une prière faite au nom de Jésus-Christ. AMEN !