Le (dernier) sermon du lendemain

Lundi 17 juin 2019

Chers abonnés "aux sermons du lendemain",

Hier, j'ai prononcé un sermon d'adieu à l'Eglise protestante française de Beyrouth. Certains éléments très contextuels pourront vous échapper un peu. Je m'en excuse. Mais c'est aussi à vous que je dis au revoir en ce lendemain de dernier culte. Pendant ces années libanaises, vous avez été lectrices et lecteurs de ces SDL ; une sorte de communauté 2.0 composée d'une centaine de personnes ; vous m'avez accompagné dans mon expatriation. Un grand merci à ma chère amie Mireille Trouilhet d'Orthez pour ses relectures de tous les SDL. Sœurs et frères, ce partage biblique a été pour moi un grand bienfait.  Mon ministère de pasteur-prédicateur se poursuivra dès septembre prochain à Bordeaux : "l'aventure girondine" ! Vous allez me manquer.

Amitiés fraternelles. Pierre Lacoste

J'en veux pour preuve !

Romains 5,1-5 (TOB)

Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ ; 2 par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre fierté dans l’espérance de la gloire de Dieu. 3 Bien plus, nous mettons notre fierté dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance, 4 la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance ; 5 et l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.

Nous savons toute l’importance que ce premier verset du chapitre 5 a eu pour les réformateurs de l’Église au 16e siècle et pour les protestants jusqu’à nos jours. « Étant justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ ». La messe protestante était dite ! Par la seule puissance de cette affirmation, par la seule foi en Christ, voici l’homme libéré de ses représentations du divin, de ses systèmes dogmatiques et ecclésiaux ! Il devra toujours s’y confronter, et toujours s'en affranchir. 

Justifiés et pacifiés

En quelques mots seulement, Paul nous appelle à retrouver devant Dieu le pas léger de la danse de la vie ! Justifiés pour vivre en paix avec Dieu. Telle est la voie royale sur laquelle le chrétien est appelé à marcher. Quand il pense à Dieu, son être entier ressent une paix profonde. Plus question de savants calculs par lesquels nous nous mentons à nous-mêmes pour paraître plus justes, plus fidèles. La foi nous délivre intérieurement de la fausse innocence comme de la vraie culpabilité. Tout cela est enterré. La Bonne nouvelle qu’annonce Paul, c’est qu’aujourd’hui, Dieu est paisible quand il pense à nous et il veut que nous le soyons aussi quand nous pensons à lui.

Cap sur l'espérance

C’est sur ce fondement que nous allons pouvoir construire nos vies, nos projets, nos Églises.
Paul, au contraire d’une théologie malsaine de la prospérité qui vous promet argent, santé et réussite en échange de vos prières, de votre engagement ou de vos dons, n’annonce pas une vie chrétienne dorée, facile, qui passerait de miracles en miracles, de bénédictions en bénédictions. La vie chrétienne n’est pas une épopée, c’est un chemin de vie qui se trace dans la banalité, la joie et la souffrance du quotidien. Mais ce chemin est avec Christ.
Pour Paul, la grâce, ce n’est pas la réussite ; la paix, ce n’est pas l’absence de combats, et la foi n’est pas le vaccin contre le virus du doute ou du péché. La théologie de Paul est une théologie réaliste fondée sur l’espérance.
L’aventure croyante, n’est pas une fuite dans un monde parallèle, elle fait face aux épreuves. Mais elle en donne une lecture particulière. Sans sombrer dans le déni de réalité, la foi permet une élévation du regard au-delà des événements du présent, au-delà même de l’histoire. Ce regard, c’est précisément ce que Paul appelle l’espérance. L’espérance, c’est ce qui permet au chrétien de dépasser le décousu ou l’absurdité apparente de l’histoire.

« Va au-devant de la vie ! écrit Paul Ricœur au milieu du 20e siècle, il y a un sens, un sens caché, cherche-le, veuille comprendre ! » (Histoire et vérité) Pour le chrétien, l’absurde n’est que l’avant-dernier mot de l’histoire. La grâce de Dieu en est l’ultime ! Telle est l’espérance de la foi ! Elle n’est ni un déni de réalité, ni un drapeau, ni un discours identitaire. L’espérance est un chemin, le combat d’une vie dans le compagnonnage des hommes et dans la suivance du Christ.

L'épreuve e(s)t la preuve

Au verset 4, un jeu de mots plein de sens attire l'attention. Dans le texte grec, Paul joue sur l’ambivalence du mot « épreuve » qui signifie aussi « preuve ». On pourrait comprendre ainsi son raisonnement : « La persévérance s’accompagne d’épreuves, mais l’épreuve nous apporte la preuve (de notre salut) et cette preuve par l’épreuve renforce l’espérance. »
Pour le dire autrement, et parce que c’est aujourd’hui un sermon d’adieu, je voudrais évoquer quelques pages de cette aventure croyante à vos côtés. Au cours de ces six années passées auprès de vous, j’ai été témoin de ces épreuves transformées en leur contraire.

Un temps pour la démolition

Quelques temps après mon arrivée, j’ai vu une communauté découragée, presque démolie par la démolition de son temple. Quelle épreuve ! Il fallait faire Église sans temple, sans visibilité, finalement sans matérialité ; et quand on sait l’importance de l’édifice religieux au Liban, véritable point d’ancrage du témoignage, cette perte pouvait sembler fatale.
Mais c’est par ce chemin du manque que Dieu nous invitait à marcher. Perdre les murs historiques pour nous découvrir pierres vivantes d’un édifice spirituel, multiculturel, à construire et à vivre ensemble.
Oui, j’en suis témoin, cette perte nous a valu des gains importants. Nous avons eu le soutien total du Collège protestant français, son président, son proviseur, les agents d'entretien qui, dimanche après dimanche, comme des anges protecteurs, disposaient les chaises, la table, la nappe et la Bible dans la salle de réunion ; certains de ces agents sont musulmans.
Finalement, sans passer par l’épreuve du manque de temple, aurions-nous vécu ces années de profonde amitié, de rencontres et d’entraide ? Ne sommes-nous pas devenus au travers de l’épreuve, un peu plus encore Église du Christ ?

Un temps pour la confrontation

Mais nous ne pensions pas que cette traversée sans lieu de culte serait si longue.
Les années ont passé ; entre France et Liban, les visions se sont heurtées. C’est le propre de notre protestantisme ; nous n’avons pas de chef, seulement des convictions pour lesquelles nous sommes prêts à nous battre. Le combat fut rude. Il l’est encore aujourd’hui. Mais dans l'épreuve, j’ai pu réaliser l’importance du soutien des Églises protestantes libanaises : cher président, vous vous êtes engagé à nos côtés pour défendre avec nous une certaine idée de l’Église protestante française et de son témoignage dans le paysage religieux et social libanais.
Au plus fort de l’épreuve, Dieu nous a fait la grâce de votre présence fraternelle. Il nous a aussi accordé le précieux soutien du président de la Fédération protestante de France. J’ai confiance que le temple sera bientôt reconstruit et que sa vocation rayonnera à nouveau dans la ville de Beyrouth.

L'Eglise, visage du Christ : le temps de l'espérance

J’ai gardé pour la fin ce qui me tenait le plus à cœur. J’ai été profondément touché par le témoignage de foi et de vie de la communauté malgache et africaine. Des femmes employées de maison qui travaillent dur toute la semaine pour un petit salaire et dans des conditions souvent difficiles. Après 30 années de pratique du ministère pastoral, je n’avais jamais ressenti une telle force dans le chant, dans la prière.
Pour reprendre les mots de Paul, vous avez, mes sœurs, appris à "mettre votre fierté dans vos détresses". Vos chants de joie ont résonné plus fort que le bruit de vos sanglots ; la force de vos prières a allégé le poids de vos découragements. Vous avez ici, dans cette petite Église, retrouvé la dignité dominicale, celle que le Christ accorde dans sa grâce à tous ceux qui marchent avec lui.

Je voudrais enfin dire merci du fond du cœur aux fidèles historiques de l’Église. Ces quelques dames franco-libanaises qui n’ont jamais lâché. Face aux difficultés, au lieu de vous dire, comme certains l’ont fait : « Khallas ! Allons-nous-en !», vous avez décidé de poursuivre l’aventure croyante jusqu’au bout et vous avez fini par discerner dans l’épreuve la preuve de la fidélité de Dieu.
Au fond, il n’y a plus ici ni libanais, ni français, ni africain, ni malgache ; ni protestant ni catholique ; il n’y a plus ni esclave ni libre ! il y a une communauté croyante, multiculturelle, multi-confessionnelle, ouverte aux 4 vents, celle des hauts de la colline, tournée vers l’espérance que le Christ a placé dans son cœur.

Je ne t’oublierai jamais, Église protestante française de Beyrouth, et je sais que le Christ, au plus fort de tes épreuves continuera à te bénir ; il renouvellera ta foi et affermira ton espérance ! AMEN !