Dimanche dernier, nous avons ouvert le testament de Jésus. Ces ultimes paroles, prononcées à huis clos dans la dramaturgie des derniers instants, avaient vibré d’une intensité particulière. Avec la promesse de l’Esprit saint, un nouveau sommet est atteint.
Qui est ce personnage promis dont le nom seul représente un mystère : le Paraclet, l’Esprit de vérité, l’Esprit saint ?
Le Paraclet : un diamant brut
Le mot de Paraclet est un mot multi-facettes. Un peu comme un diamant. Selon l’angle de vie par lequel on l'approche, il peut signifier tour à tour défenseur, avocat, consolateur, ou encore tuteur, celui qui forme, qui enseigne la vie à ses disciples.
L'absence comme ultime témoignage d'amour
Cet envoi de l’Esprit dit qu’il faut premièrement passer par l’expérience de la rupture, de l’absence, du manque comme chemin de réalisation de soi et de l’Église. Le Christ quitte l'espace de la présence immédiate. C’est bien dans la séparation, dans l’expérience de la solitude et du questionnement personnel, qu’on apprend à grandir. Le don de l’Esprit est premièrement appel à la maturité de la foi, à expérimenter la vie par soi-même, sans autre médiation que cette présence secrète de l'Esprit.
Le Christ n’est plus là pour tracer la route à suivre. La suivance, la vie du disciple passe désormais par le chemin du doute, de la recherche, de l’expérimentation personnelle de la vérité (14.17). Le don de l’Esprit est ainsi appel à vivre l’amour du Christ sans filet, dans cette lumière nouvelle et paradoxale que l’absence vient jeter sur nous.
Mais absence ne signifie pas abandon, rupture ne signifie pas démission. Le Ressuscité ne disparaît pas dans une gerbe de fumée qu’on appelle l’oubli. Son absence garantit une qualité de présence d'une autre nature. Les disciples ne sont pas appelés à construire des chapelles (ou des traditions) pour maintenir le souvenir figé de leur rencontre avec le Seigneur. Ils ne sont pas appelés non plus à ses donner des maîtres de substitution pour croire et penser.
La mémoire et l'oubli, les deux faces de notre être intérieur
Les disciples reçoivent l’Esprit saint qui vient animer leur espace intérieur, et en particulier celui de la mémoire : « Le Paraclet, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. »
En bon tuteur, l’Esprit exerce la mémoire des élèves que nous sommes, non seulement par l’apprentissage des paroles du Christ, mais en développant chez eux la capacité à penser et à agir en vérité, poursuivant la seule et unique cause de la paix christique.
Mais la question de la mémoire et de l’oubli est fort complexe. Entre le trop de mémoire qui plombe nos vies dans une commémoration stérile du passé, et le trop d’oubli qui nous donne l’illusion de vivre dans la liberté de l’instant présent, il existe un juste rapport à la mémoire et à l’oubli, précisément celui que l'Esprit désire établir en nous.
La mémoire comme narration identitaire
On peut s’interroger. Par quel mécanisme s’opère la sélection de ce que nous gardons et ce que nous oublions ? Comment s’écrit l’histoire de la nation, celle de l’Église ou encore le roman familial ? On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs, c'est-à-dire, qu’elle n’est pas pure objectivité : son souci est au moins autant de créer un lien d'appartenance identitaire entre les membres du groupe que de dire la vérité de l'histoire. C’est ainsi qu’il faut toujours questionner l'histoire, la réécrire au besoin, au fil des prises de conscience, des découvertes et des révolutions.
"La mémoire empêchée"
Prenons l’exemple d’un type d'oubli pathologique. Celui de la « mémoire empêchée » pour reprendre les mots de Paul Ricœur. Il peut exister en nous des traumatismes profonds qui ont disparu des radars de notre mémoire. Un mécanisme de sauvegarde d’urgence est venu poser un écran sur l’événement violent, l’agression, le deuil que nous avons subi. Mais cet effacement n’est pas pour autant salutaire. Si l’oubli nous permet effectivement de faire nos journées, le trauma, lui, continue de travailler en nous et se trouve être la cause de blocages profonds qui peuvent empêcher nos vies de se réaliser, de trouver la paix et la plénitude.
L'oeuvre de l'Esprit : un travail de parole
L’Esprit saint, promis par Jésus, vient travailler en nous, sur notre mémoire et sur nos oublis. Non seulement il permet, par un travail de parole, que l’événement enfoui revienne à la mémoire, mais il le fait réapparaître dans une lumière de vérité nouvelle. L’événement traumatique, longtemps enkysté dans l'oubli pathologique, s’est figé dans un récit qui n’est pas nécessairement conforme à la vérité factuelle ; il raconte notre vérité, celle qui nous fait mal, qui nous victime et nous détruit de l’intérieur.
L’Esprit saint assure cette émergence à la mémoire des paroles de Jésus. Paroles de vie qui entrent en dialogue avec nos récits enfouis ou vivaces pour les réécrire, pour les guérir.
La paix à l'horizon ?
La parole de Jésus, acheminée à nos consciences par l'Esprit, possède cette vertu thérapeutique, cette puissance curative dont nos vies ont besoin : « Je vous donne la paix, je vous donne ma paix ». Par ce travail de parole, l’oubli revient à la mémoire pour être réinterprété et nous faire naître à une réconciliation intérieure, à une libération personnelle. C’est là le travail de l’Esprit. Il œuvre à la réconciliation, à la paix de nos mémoires blessées, dans nos oublis pathologiques ; il nous permet de réécrire l’histoire de nos vies à la lumière tantôt tamisée tantôt puissante de l'Évangile .
Le Paraclet, l’Esprit de vérité, consolateur et formateur, ouvre ainsi pour nous une fenêtre sur un horizon nouveau. L’amour du Christ nous invite à la réconciliation intérieure. Une paix nouvelle nous est offerte au bout de laquelle une fraternité humaine est possible. AMEN !