L'Évangile de Pâques selon Jean est un chemin de rencontre. Trois personnages, chacun à leur manière, vont dire et vivre l’événement du tombeau vide : Pierre, Jean et Marie de Magdala ; trois chemins de rencontre avec le Christ ressuscité. Quel sera le tien ?
Pierre, l'engagé.
Commençons par Pierre. Je l’aime particulièrement. Outre le prénom dont j’ai hérité, il y a ce résultat très moyen à la course au tombeau. Ça crée des liens !
Il se fait doubler par le disciple anonyme, "celui que Jésus aimait" - sans doute l’auteur de l’évangile ; Jean semble plus jeune et plus sportif que Pierre. Cette petite compétition entre les deux proches disciples de Jésus augure déjà du clivage entre Église d’Orient - Église d’occident, (avec la figure centrale de Jean pour l’Église grecque et celle de Pierre premier pape pour l’Église romaine.)
Mais comme dirait l’autre Jean, celui de la Fontaine, « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Jean arrive peut-être le premier au tombeau, mais c’est Pierre qui franchit la ligne d’arrivée ! Il entre dans le tombeau vide. Il est ainsi le premier témoin de la résurrection. J’aime aussi ce côté tête brûlée de Pierre. Il faut toujours qu’il l’ouvre le premier, qu’il déclare, qu’il s’engage, [quitte quelquefois à s’en mordre les doigts : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » ; mais encore : « Jamais je ne te trahirai ! » : c'est du Pierre dans le texte !]
Pierre entre et voit. Il constate que le corps n’est plus là. Pierre, comme un enquêteur, se tait et note les faits : il constate, il apprend. Des bandelettes sont posées là ; le linge funéraire est posé ailleurs... Il est un peu comme un catéchumène à qui l’on raconterait pour la première fois l’événement. Pâques, c’est l’histoire d’un tombeau vide. Il y a la trace du défunt absent. Pâques, c’est premièrement un savoir historique. Celui qui devait être dans le tombeau n’y est plus. Le fait est là, incontournable et Pierre en prend acte.
Ce tombeau vide peut-être comparé à l'Eglise. On y entre le dimanche, on y entend des choses sur la Bible, sur Dieu ; on prend note, on apprend. Mais qu’est-ce que cela change à notre vie ? Ces récits de Pâques que nous entendons depuis l'enfance ne sont-ils pas comme ces savoirs incorporés, assimilés et sans plus aucun effet ? L’Église est pleine de savoirs, de doctrines ; nous célébrons, nous confessons, nous pratiquons nos rituels, mais cela fait-il de nous des croyants ?
Ne jetons pas trop vite ou trop fort la pierre à Pierre. Il a le grand mérite d’entrer, de faire le pas décisif. Et c’est peut-être ce qui manque aujourd’hui aux chrétiens. Ils regardent de loin mais n'entrent pas ; ils se détachent des savoirs bibliques et fuient l'engagement. Mais il n’y a pas de foi sans engagement. Pierre est un peu la figure de l’Église fatiguée, ralentie dans sa course par des siècles d’histoire, mais encore là, prête à croire de nouveau.
Jean, le mystique
Jean qui était resté dehors finit par entrer. Le premier pas de Pierre l’aide à faire maintenant le sien. Il entre, il voit et il croit.
Que voit-il ? Rien justement ! Le corps n’est plus là. Le tombeau est vide. Voir le vide et croire ! N’est-ce pas l’expérience de foi la plus épurée que l’on puisse imaginer ! Nous sommes souvent comme Thomas : pour croire nous avons besoin de toucher, de voir ou de comprendre. Si Dieu nous accordait un petit miracle, un signe, nous deviendrions les plus fervents croyants. Et bien non ! La foi, c’est ne rien voir et croire ! Ou voir le vide et croire.
Jean et Pierre nous conduisent chacun à leur manière vers le Ressuscité. L’un cherche à comprendre, l’autre croit seulement. Pierre est le premier témoin, Jean le premier mystique. Mais l’un comme l’autre auront encore besoin de l’éclairage des Écritures pour donner sens à ce qu’ils ont vécu. Notre vécu, notre engagement ou notre foi nous enferment. Les Écritures, elles, nous libèrent de nos émotions et de nos perceptions immédiates. Elles offrent la profondeur de vue et l’enracinement de la foi.
Marie, l'existence dans l'intime
Mais le personnage central du récit, ce n’est ni Pierre, ni Jean : c’est Marie, Marie Madeleine ! Vous vous souvenez, celle qui, à Béthanie, avait répandu du parfum sur les pieds de Jésus. Par ce geste, elle avait annoncé sans le savoir la mort du Seigneur et prophétisé une vérité centrale : le salut est un don gratuit et non une récompense pour ceux qui auraient bien obéi, bien pratiqué la religion.
Marie est la première au tombeau, la première à découvrir le tombeau vide. Marie est la première lanceuse d'alerte ! Pâques est premièrement proclamé par une femme. On ne le souligne pas assez. Si l’Église est dirigée par des hommes, elle est habitée, inspirée et servie par des femmes. Et au vu du spectacle affligeant que donne l’Église du 21e siècle (pas seulement catholique !), il serait intéressant de repenser tout cela : de mettre enfin les hommes au service et les femmes au pouvoir. Il y a de fortes chances pour que les choses changent de manière décisive !
Marie a suivi les coureurs et elle se tient dehors, triste comme chacun peut l’être en allant au cimetière visiter un être cher. Elle est triste et résignée. Le sauveur en lequel elle avait espéré, dont elle avait essuyé les pieds avec ses cheveux, son sauveur est mort, emportant tous ses espoirs.
Mais elle est aussi révoltée : « On a volé son Seigneur ! » Marie me fait penser à ces annonces complotistes qui circulent partout. Il faut toujours chercher des explications et désigner des coupables : "ON a volé !"
Ce qui est étonnant aussi ce sont les larmes de Marie. Il semble que le vol du corps lui fasse plus de peine que la mort de son Seigneur. Elle pleure. Finalement la mort nous fait moins peur que la vie. Avec la mort, tout est normal, chacun est à sa place, rien ne bouge plus jamais. Avec la vie, on ne sait pas ce qui peut arriver. Tout est possible avec la vie, même l’impossible, même l’impensable !
Jésus lui apparaît maintenant ; elle ne le reconnaît pas. Cela ne m’étonne guère. Ça nous arrive à tous. Rencontrer quelqu’un hors du contexte où on l’habitude de le voir, et on passe devant lui sans le reconnaître. Un mort dans le monde des vivants est forcément méconnaissable, puisque par définition les morts ne sont pas présents à la vie. Il y a entre Jésus et Marie, l’écran psychologique de l’impossible.
Une seule chose va permettre à Marie de reconnaître Jésus (?)… Sa voix. Elle l’entend prononcer son nom et le reconnaît comme son maître (Rabbouni). C’est donc sur le lieu de l’intimité que se réalise la rencontre. Dans le « son de la voix » plus que dans l’image, dans la parole plus que dans l’écrit. Quand on est nommé, on existe, on est reconnu et on reconnaît à son tour ! La vie est là et Marie est la première à l’accueillir. Marie est la première à reconnaître Jésus vivant, non à le voir, mais à le reconnaître !
Trois chemins
Pierre, Jean et Marie nous offrent trois chemins de rencontre avec le Ressuscité. La foi rationnelle et engagée de Pierre ; la foi mystique de Jean et la foi existentielle et intime de Marie. C’est une image de l’Église dans toute sa diversité. Il n’y a pas à choisir entre ces modèles. Il vaut mieux les accueillir et chercher à les vivre ensemble. Peu importe finalement le chemin par lequel on parvient à reconnaître Jésus comme Le vivant ; ce qui importe, c’est que sa vie entre dans nos tombeaux, nous bouleverse et fasse de nous des témoins, des croyants et des vivants. AMEN !