Chers frères et sœurs, ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez métamorphosés par le renouvellement de votre intelligence."
C’est ce que Jésus a prêché, c’est ce qu’il a vécu, c’est ce qu’il a enseigné à celles et ceux qu’il a croisés sur sa route.
Attention, Jésus n’a pas dit que le monde était mauvais et qu’il fallait s'en retirer. Au contraire, il dit à ses disciples dans l’évangile de Jean : « Vous n’êtes pas DU monde mais vous êtes DANS le monde » (17.16ss), ce monde que Dieu a tant aimé (3.16).
Comment vivre dans le monde sans nous laisser guider par la logique du monde ? Tel est le défi que Paul reformule ce matin par cet appel à ne pas se "conformer au monde présent" mais à laisser nos intelligences être littéralement "métamorphosées".
Résister, interpréter, comprendre et agir
Un premier exemple de cette non conformation, de ce refus d’imitation du monde, serait la résistance aux discours déclinistes, au pessimisme ambiant, aux complotismes de tous ordres, aux fake news qui pourrissent notre accès à l’information, aux chaînes d’info en continu qui nous empêchent de réfléchir. Les infos, soit disant factuelles ne sont jamais neutres. Elles disposent de nous. Ne pas se conformer, c’est premièrement résister ! Résister à des propos qui, non seulement nuisent à notre jugement, mais qui nous familiarisent avec des pensées abominables, racistes, suprémacistes et tous les « istes » que vous voulez ! Ceux qui habitent près d’un dépôt d’ordures ne sentent plus les mauvaises odeurs à la longue, mais cela ne veut pas dire que l’air est sain.
Violentes évidences...
Ce jeune australien, adepte de « la théorie du remplacement », qui vient de faire un carnage dans deux mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande, est au moins autant bourreau que victime d’un monde qui ne sait plus faire la différence entre le vrai et le faux, qui ne discerne plus entre la parole et le mensonge, la lumière et les ténèbres.
Le chrétien est quelqu’un qui fait de la place à la parole ; quelqu’un dont le sens critique est aiguisé. Le sens critique, c’est l’aptitude au questionnement. C’est l’art de chercher du sens à ce qui se passe autour de nous. Le chrétien, parce qu’il a une conscience vive de sa propre humanité, est quelqu’un qui ne recule pas devant ce qui est complexe, délicat, difficile. Le chrétien, pour reprendre la magnifique expression de Jésus, est quelqu’un qui apprend à « discerner les signes des temps » (Mat 16.3).
Ne pas nous conformer au temps présent, c’est croire que l’humanité vaut mieux que ce qu’elle montre d’elle-même, croire que Dieu la cherche, lui donne les clés d'une juste compréhension d’elle-même.
Je crois que notre humanité doit retrouver le chemin d'un dialogue vrai, cette expérience risquée où la rencontre avec Dieu et les autres se fait au prix (gratuit!) de la confiance et du questionnement.
Une Parole qui bouscule
La lecture de la Bible nous offre cette expérience d’altérité et de déplacement de nous-mêmes vers une manière plus humaine et finalement plus spirituelle d’être hommes et femmes dans le monde. Elle ne nous assomme pas de choses à croire ou à faire ; elle nous pousse au cheminement. Lisez la Bible, sœurs et frères, c’est une manière très efficace de résister au siècle présent et de marcher sur le chemin de Dieu !
Une autre manière de ne pas se conformer au monde actuel, c’est d’échapper à la logique du "donnant-donnant". La logique de l’équivalence. Quand tu reçois, tu dois rendre. Calculer son engagement en fonction du coût des choses, de l’intérêt qu’on leur porte, du temps qu'on leur consacre… Tout cela est du monde. Le chrétien, à la suite du Christ, est celui qui adopte un mode de vie guidé par un rapport unique et exigeant à l’Absolu.
Je ne vais pas défendre une cause parce qu’elle me concerne, parce qu’elle me touche, mais parce qu’elle est juste en elle-même. Je n’adhère pas à la ligue contre le cancer parce que j’ai échappé au cancer ou parce que j’ai peur de l’attraper, mais parce que j’estime que cette lutte est noble et qu’elle défend la cause de notre humanité commune. Je ne vais pas aimer quelqu’un pour ce qu’il m’apporte mais parce que l’amour que j’ai pour lui est là, vivant, débordant, prêt à se donner.
Expériences d'humanité
Ne pas se conformer au monde présent, c’est donc renouer avec la gratuité.
Mais cette démarche d’agir gratuitement est-elle un mythe ou une réalité ? Même dans l’Église, sommes-nous vraiment des gens gratuits ?
Je peux me mettre à aider les migrants. Cela à l’allure d’un engagement gratuit, mais qui peut sonder les cœurs ? Est-ce que je ne cherche pas par cet engagement à donner de moi l’image de quelqu’un d’altruiste et de désintéressé ? Un engagement d’apparence gratuit, peut servir de misérables projets. L’humanité est une expérience très complexe, dans laquelle il y a plus de chance de se perdre que de se trouver !
Mais au lieu de sombrer dans une introspection malsaine et culpabilisante ou dans la désillusion misanthropique, je peux aussi détacher mes regards de mon nombril et m’ouvrir à l’appel de Dieu.
Je peux au contraire choisir de dire joyeusement « oui ! » à cet appel qui m’invite à d'autres relations : libéré de la rivalité et de l’esprit du donnant-donnant.
Je peux par exemple accepter ce défi de vivre ma foi en résistant à la vulgarité ambiante.
Ma foi peut encore me conduire à refuser de m’aligner sur la volonté du plus fort, du plus grand nombre, pour résister à ce qui me semble mauvais et combattre pour ce qui est juste !
Trouver son style ou répondre à l'appel ?
Ne pas se conformer à l’esprit du temps, c’est se découvrir protestant autrement. Sans chercher à ressembler à nos ancêtres du 16e siècle ou à ces protestants pop-rock qui imposent de nouvelles normes cultuelles (étrangement conformes au monde présent !).
Être protestant aujourd’hui, ce n’est pas chercher un nouveau style, c’est entendre et à accomplir ce que la parole du Christ nous dit aujourd’hui.
Avec l’image du corps, Paul nous invite à retrouver un chemin vocationnel marqué par l'humilité. J'accepte et je vis paisiblement de ne pas être tout pour tous, mais seulement un peu pour quelques-uns, une partie du corps de l’Eglise. Nous engager activement dans ce que nous savons faire, ce à quoi Dieu nous appelle et dont les autres ont besoin : voilà notre chemin de liberté et notre présence au monde.
Si les protestants ne lisent plus la Bible, pourront-ils continuer à jouer ce rôle prophétique dans la société, à la fois lanceurs d’alerte et pionniers ?
Ne pas se conformer au monde actuel, n’est-ce pas simplement reconnaître que nous ne sommes ni tout-puissants, ni éternels ni omniscients ? Que nous ne sommes pas Dieu !
Ne nous conformons pas au monde présent sœurs et frères, mais offrons-nous au monde comme des témoins du monde qui vient. Amen !