Le sermon du lendemain

Lundi 15 octobre 2018

Où est passé ton premier amour ?

Apocalypse de Jean, 2.2-5

« Écris à l'ange de l'Église d'Éphèse : Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, celui qui marche au milieu des sept chandeliers d'or : « Je connais tes œuvres, ton travail, et ta persévérance. Je sais que tu ne peux supporter les méchants ; que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas, et que tu les as trouvés menteurs ; 3 que tu as de la persévérance, que tu as souffert à cause de mon nom, et que tu ne t'es point lassé. 4 Mais ce que j'ai contre toi, c'est que tu as abandonné ton premier amour.

Évangile selon Marc 10, 17-27

17 Comme il se mettait en route, quelqu’un vint en courant et se jeta à genoux devant lui ; il lui demandait : « Bon Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? » 18 Jésus lui dit : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul. 19 Tu connais les commandements : Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne feras de tort à personne, honore ton père et ta mère. » 20 L’homme lui dit : « Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse.» 21 Jésus le regarda et se prit à l’aimer ; il lui dit : « Une seule chose te manque ; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens, suis-moi. » 22 Mais à cette parole, il s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. 23 Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples : « Qu’il est difficile à ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » 24 Les disciples étaient déconcertés par ses paroles. Mais Jésus leur répète : « Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu ! 25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » 26 Ils étaient de plus en plus impressionnés ; ils se disaient entre eux : « Alors qui peut être sauvé ? » 27 Fixant sur eux son regard, Jésus dit : « Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu. »

Cette rencontre entre Jésus et l’homme riche, nous renvoie à une question cruciale (!). Qu’est-ce qui est au cœur de la religion ? Si on devait enlever tout ce qui dépasse, tout ce qui n’est pas essentiel à la foi, que resterait-il ? Si l’on laissait un moment de côté les traditions liées au moins autant à la théologie qu'à la culture, à l’histoire, à l’organisation, quelle vérité dernière, ultime nous resterait-il à confesser et vivre? La rencontre entre Jésus et l'homme riche répond à cette question.

Une vie pleine de vide

Autant le dire d'emblée, une part substantielle de ce qui fabrique le quotidien de notre vie chrétienne n’est pas indispensable à la vie éternelle !

Les valeurs qui font notre christianisme comme l’honnêteté, l’engagement, la fraternité, le respect, la fidélité à l’histoire, la générosité, sont certes importantes, mais en rien décisives pour le salut.

L'histoire de l'homme riche, c'est la nôtre. Les ficelles sont exactement les mêmes. Il pratiquait avec sérieux la loi de Moïse et ses 10 commandements. Il est tellement sérieux qu’il consulte Jésus pour savoir ce qu’il faudrait peut-être ajouter pour rendre l'équation "obéissance contre salut"  aussi parfaite que rémunératrice. "Que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle ?" - à moins que cette consultation ne soit déjà l'aveu d'un échec : celui d'une pratique incapable de dissiper le doute ; celui d'une quête de quelque chose à même de remplir son existence.

Mission impossible

Et Jésus va lui proposer ce quelque chose... Quelque chose de tout à fait impossible à bien  y regarder : « Vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi ». Personne n’a jamais tout vendu pour suivre. Même Jésus avait gardé cette belle tunique sans couture que les soldats tireront au sort. Quel sens donner à cet appel impossible à tout lâcher ? Il y a plusieurs possibilités de compréhension.

1. On peut penser que Jésus place le jeune homme devant un commandement impossible pour lui faire toucher la limite de sa pratique religieuse et l’inviter à désespérer de lui et se reconnaître pécheur devant Dieu. Il veut le faire passer du statut de pratiquant insatisfait à celui de pécheur repentant. Paul tiendra cette ligne en expliquant le rôle pédagogique de la Loi (Romains 7, 7ss). 

2. Ou encore, Jésus chercherait à jouer la provoc : « Tu te crois très juste ; tu penses être quelqu’un de bien devant Dieu ? En réalité, il n'y a rien en toi qui puisse te hisser au niveau de la vraie justice. Il suffit d'un ordre pour démasquer la supercherie : « donne tout aux pauvres ». Oui, je mets ton cœur à nu ; je révèle ton égoïsme au grand jour. Nous allons voir quelle est la force de ton attachement à Dieu ?"

Il y a sans doute du vrai dans ces deux interprétations. Mais j’aimerais avec vous en explorer une troisième.

En donnant cette mission impossible à ce jeune homme, Jésus le place devant une réalité insaisissable : la réalité du Royaume de Dieu. Ce royaume est fabuleusement-gigantesque ! Il échappe à toutes nos logiques, nos visions du monde et de la vie. La vie de Dieu est impossible à penser et à intégrer dans notre paysage intérieur, culturel et religieux, justement parce que ce Royaume de Dieu n’est pas une valeur, un code de comportement ou une pratique religieuse.

Le souffle d'absolu

Tout cela (les structures, les projets sur mesure, la cohérence, l'engagement, le bon sens), tout cela est sans aucun doute juste et bon, mais demeure de l'ordre de la conséquence pas de la cause. Pour qu’une vie se mette à vibrer d’une force nouvelle, pour que notre logiciel personnel soit  reconfiguré, il faut au départ un séisme, une explosion, une folie pure, un souffle d’absolu (Hegel), une vérité impossible à entendre, impossible à vivre ! Quelque chose dont la force et la folie vont vous plaquer au sol.

Deux exemples bibliques

C’est ce qui est arrive à l’homme qui découvre un trésor dans un champ (Mat 13). Ce n’est pas son champ et ce n’est pas son trésor. Mais à l’instant où il découvre cette réalité imprévue, énorme, impossible, là, au beau milieu de sa journée d’ouvrier agricole, tout va basculer dans une autre vie. La découverte du trésor va balayer tous ses repères, occuper toute la place, réorganiser toutes les priorités.  Voilà ce qu’il faut pour que nos vies soient arrachées à la destinée commune des gens bien, ou au sommeil profond des gens qui savent, des gens qui gèrent leur vie et leur Église avec sérieux et efficacité.

Le message de l’Esprit aux 7 Églises dans le livre de l’Apocalypse aide à mieux comprendre l'enjeu. Le premier message à l’Église d’Éphèse dit ceci : « Je connais tes œuvres, ton travail, et ta persévérance. Je sais que tu ne peux supporter les méchants ; que tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et qui ne le sont pas, et que tu les as trouvés menteurs ; que tu as de la persévérance, que tu as souffert à cause de mon nom, et que tu ne t'es point lassé. Mais ce que j'ai contre toi, c'est que tu as abandonné ton premier amour. »

Retrouver le protos agapè, le premier amour, celui qui a tout changé, qui nous a fait tout quitter pour le suivre ! Amour enfoui aujourd’hui sous des tonnes de préoccupations certes importantes, utiles, prioritaires et sérieuses, mais qui finalement ont fini par tuer en nous la vie de Dieu, la vie éternelle.

Ne nous décourageons pas

Vous êtes peut-être comme le jeune homme riche en train de vous dire : "C’est foutu ! Cette vie est trop haute pour moi. Je ne suis pas fait pour cet amour fou, pour cette vie radicale qui met le Seigneur au centre de tout !"

Vous vous trompez ! Avez-vous remarqué comment Jésus regarde cet homme ? Avec amour! Il ne juge pas son manque de foi, il l'accueille.

Pour le dire autrement, je crois que nous sommes beaucoup plus attachés à nos soucis qu’à l’objet de nos soucis. Nous sentir préoccupés ou très-occupés, voilà qui nous rassure. Nous avons peur de nous découvrir amoureux de la vie de Dieu, peur de ce que la présence de Dieu au cœur de notre vie pourrait réellement produire. Kierkegaard le dira dans le langage de sa philosophie  « Être soi » devient pour lui le défi existentiel par excellence, celui qui consiste à se tenir au seuil d'une infinité de possibilités et, dans un « saut » fondateur, à assumer jusqu'au bout tous les risques d'une décision.

Ce saut dans le vide, c'est l'appel du Christ au jeune homme riche.

Finalement, il s’agit plus d’abandonner ce que nous sommes, plus que ce que nous avons, il faut laisser mourir le vieil homme, écrira Paul, à moins que notre être tout entier se soit réduit à notre avoir, auquel cas, il faudra vendre !

A lui tout est possible

Finalement nous ne sommes pas appelés à devenir des super héros appelés à accomplir des choses impossibles ! Nous sommes appelés à poser un acte de foi par lequel nous renonçons à rester les maîtres absolus de notre existence et par lequel encore nous laissons les commandes à l’Esprit de Dieu. À lui rien n’est impossible. Si nous le laissons faire un peu, il va donner à nos journées un relief, une intensité, une couleur, une joie, une folie, une légèreté, une distance ou une présence qui ensemble témoigneront de cette vie qui est déjà là. Nous sommes tous des jeunes hommes et des jeunes femmes riches. Ne nous trompons pas de trésor !  AMEN !