Je ne vous ai pas beaucoup prêché l'évangile ces derniers temps. Il y a eu des visiteurs de passage à l'Eglise protestante française de Beyrouth et surtout ce master en islamologie que je m'efforce d'achever. Mais je ne pouvais résister à l'envie de vous adresser une sermon de veille d'élection présidentielle. Je n'ai pas choisi l'évangile, c'est celui des listes œcuméniques que j'ai coutume de suivre. La parole fait vivre mais la vie fait résonner la parole de façon spéciale certains jours...
Coïncidence ?
Oui, quelle coïncidence ! Nous élisons aujourd’hui un nouveau président de la République et voilà que l’Evangile du jour nous parle de bon berger ! Le langage de la méditation johannique paraît simple comme un deuxième tour de présidentielle mais son personnage principal change de profil sans cesse : tantôt berger, tantôt portier, tantôt porte. Les seuls éléments stables de l’allégorie sont les brebis et les imposteurs. Cette liquidité des notions trouble les auditeurs « qui ne comprennent pas la portée de ce qu’il disait » (6). Je découvre ici un modèle de gouvernance différent, assez éloigné en effet des schémas qu'on nous ressasse.
Large est le chemin des évidences
Premièrement, le rapport à la vérité que les lecteurs sont ici appelés à découvrir est plus fin qu’il n’y paraît. Le guide (berger) est tantôt passage (porte) et tantôt passeur (portier). Cette mutation des rôles est intéressante. La figure du chef n’est pas figée dans le définitif, le totalitaire. La vérité est en mouvement. Le chef se fait maintenant portier, proche pédagogue, passeur de sens. La porte aussitôt franchie, le troupeau se met en route vers la découverte de sa vocation. La porte reste ouverte en arrière, comme une offre de retour possible. Les disciples ne comprennent pas parce que la complexité est moins désirable que les évidences. Jésus est en même temps berger, portier et porte. Il refuse de se laisser enfermer dans une posture unique et totalitaire qui l’empêcherait d’évoluer lui-même dans cette relation complexe, vivante et salutaire au troupeau.
Non à la haine !
Deuxièmement, la parole du berger donne confiance parce qu’elle met en marche le troupeau. A quoi reconnaît-on une parole de confiance d’un discours mensonger ? A ses fruits ! La parole du bon berger conduit au dehors (4). Elle ouvre des horizons nouveaux, prend le risque de la confrontation à l’inconnu, ne craint ni le doute, ni l’errance. Les usurpateurs et autres escrocs de la politique développent une vision menaçante de l’altérité et de l'avenir. Ils prêchent la fermeture des frontières, figent l’image du bonheur dans les certitudes sécuritaires de l’entre soi. Fuyons cette bergerie malodorante et incestueuse !
Celui qui veut sauver sa vie...
Enfin, les candidats présidents, avec plus ou moins de subtilité, promettent tous la vie abondante (10). Les promesses n’engagent que ceux qui y croient a dit un jour l'un d'entre eux. Quel cynisme ! Jésus, lui, ne promet rien, il donne ! Cette vie trouve son intensité dans l’aller, le venir et le trouver (9). Le fermer, le protéger et le préférer sont étrangers à l’esprit de son Évangile. Nous comprenons que la vie abondante ne se trouve pas dans la fixité d’une logique possédante mais dans le don de soi. Comme le bon berger qui se dessaisit de sa vie pour les autres (11), nous sommes poussés dehors, appelés à chercher une nourriture nourrissante. Donner sa vie n’est pas donner de soi. C’est accepter d’abandonner le chemin tracé des certitudes dogmatiques, religieuses et politiques, pour se perdre soi-même dans l’aventure d’une vie qui ne nous appartient plus. Amen !