La fête des Rameaux suscite beaucoup de joie. C'est un dimanche de grandes foules en Orient. La foule de Jérusalem dans le récit de Matthieu me fait penser aux foules de France piaffant d'impatience dans l'attente de son président-sauveur. Cette ferveur messianique des foules est fascinante : elle traduit un déchirement que nous connaissons tous entre détresse et attente, désillusion et espoir. Cette foule est digne même si égarée. Sait-elle qui est l’homme qui entre à Jérusalem ? Objet de tous les fantasmes parviendra-t-il à se frayer un chemin jusqu'à moi ? Pour cela, il me faut aller à la rencontre du texte...
Ne mélenchons pas tout !
Ne confondons pas le pêne et la Porte ! Jésus n’a pas le profil d’un populiste, ni l'allure d’un homme d’Etat. L’homme qui entre à Jérusalem sous les viva de la foule est un homme-message. Sous les pas de son ânesse, ce sont les pages de l’AT qui défilent. Les allusions à l’histoire d’Israël sont très nombreuses. Elles vont nous aider à percer le mystère des Rameaux.
La Bible à plein nez
Au tout premier plan : la prophétie de Zacharie 9, 9, citée par Matthieu « Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse…»
Il y a la foule qui réquisitionne le psaume 118.25 pour saluer l’arrivée de Jésus : « Hosanna !» chante-t-elle, ce qui se traduit « Donne le salut ! ».
Quel juif encore, en voyant Jésus entrer dans la ville de Jérusalem n’a pas vu resurgir la scène de 2 Samuel 6, où David sous les acclamations de la foule, danse de joie devant l’arche de l’alliance qui fait son retour à Jérusalem. Récit que chante le psaume 132 avec des accents messianiques très forts : « Entrons dans la maison du SEIGNEUR ! Mettons-nous à genoux au pied de son siège royal ! SEIGNEUR, viens te reposer ici, viens avec le coffre de l'alliance qui montre ta puissance. Que la force de ton salut couvre tes prêtres comme d'un vêtement, que tes amis fidèles crient de joie ! Le SEIGNEUR a fait un serment à David. Oui, c'est sûr, il le respectera. Ce serment, le voici : « Je mettrai un de tes enfants sur ton siège de roi. »
Voici donc l’enfant promis, le fils de David attendu, le messie de sang royal qui vient rétablir Israël ! L’histoire des promesses semble s'accomplir ce jour-là aux portes de Jérusalem.(on pourrait aussi ajouter l'histoire de Balaam et son ânesse - Balaam dont la spécialité est de bénir ou de maudire).
Ce faisceau d’indices bibliques doit nous aider à comprendre qui est l’homme qui entre à Jérusalem. « Béni soit celui qui vient ! » prophétise la foule.
Humanité chérie
Jésus est d’abord celui qui vient :
Dieu n’abandonne pas l’humanité à son histoire, il vient à sa rencontre. Dieu n’est pas à côté de la marche de l'histoire. C’est le premier message des Rameaux : nous ne sommes pas seuls sur cette terre. Dieu n’abandonne pas son humanité chérie.
Deuxièmement, Dieu vient en la personne de Jésus. Permettez-moi une note exégétique à propos Zacharie 9.9. Matthieu a modifié le texte hébreu original : « Voici ton roi vient à toi, il est juste et sauvé et humble… » (Zach 9.9).
Matthieu a fait disparaître le mot « sauvé " ("juste" aussi). Ce « sauveur-sauvé » l’a sans doute embarrassé. Il embarrasse aussi les traducteurs qui rendent "sauvé" par "victorieux" ! Pourtant il y a là une clé pour répondre à la question posée : qui est Jésus ? Et qui il n’est pas ?
Jésus, le sauveur-sauvé
Il n’est pas un conquérant victorieux qui vient imposer par la contrainte un nouveau régime politique. Il n’est pas un super héros qui vient rétablir la justice et la paix d’un coup de baguette magique. Il n’est pas un messie populiste qui vient promettre du changement et du bonheur à la pelle !
Son nom est Yeshua, ce qui veut dire en hébreu : « il sauve ». Mais la forme grammaticale du verbe « sauver », chez Zacharie, est au passif : « il est sauvé » : Jésus le « sauveur-sauvé » ; c’est un peu dérangeant comme formule. On attend un sauveur pas un sauvé ! Mais Jésus est ce sauveur dont toute la démonstration de puissance consiste à renoncer à la puissance et à attendre tout de Dieu. Le salut qu’il apporte consiste à se laisser faire, à se dépouiller, à s’abandonner aux forces de destruction, à se laisser juger, crucifier, à remettre sa vie entre les mains du Dieu de la grâce. Yeshua, le « sauveur-sauvé », le ressuscité !
La foule de Jérusalem n’a pas reconnu en Jésus de Nazareth ce messie-sauvé. Elle ne sait pas qui elle acclame : un prophète ? un roi ? le fils de David ?
Jésus ne cherchera pas à corriger le regard de la foule. Il ne fera pas comme nos candidats présidents qui passent leur temps à corriger les mauvaises lectures de leur programme ou de leur personne au risque de doubles saltos arrière qui n'abusent personne !
Ils ne savent pas ce qu'ils disent
Jésus accepte d’être méconnu, mal jugé, mal compris. Chaque année cette fête des rameaux est l’occasion de constater que Jésus se laisse faire par nos erreurs d’interprétation. Lui, le serviteur souffrant, se laisse acclamer comme roi. Mais qu’est-ce qu’un roi qui affirme avoir besoin d’un âne (v.3) ? N’est-ce pas un serviteur ? Lui, le Dieu-crucifié, se laisse emporter sans résistance par le flot puissant des malentendus, des fausses attentes de tous ceux qui, comme vous et moi, ne savent pas ce qu’ils font et ne savent pas ce qu’ils disent. Qui est sûr de bien fêter Jésus aujourd’hui ? Jésus le sait ; il l’accepte et il pardonne.
Le texte que nous allons méditer dans la lectio divina est de l’apôtre Paul, c’est un hymne à ce Christ sauveur-sauvé. Ces paroles de Paul vont nous conduire au plus près de lui, Jésus notre frère et notre Dieu, ficelé dans nos mal et bien-entendus, ce Dieu fait homme que nous savons si mal penser. Faisons silence. Contemplons...