Pierre, Jacques et Jean, témoins ou intrus ?
Le mot qui a été traduit en français par « transfiguration », se dit en grec "métamorphose." Se métamorphoser, c’est changer complètement. Je remarque en même temps que Jésus se métamorphose devant eux, pas tout seul dans son coin, comme un papillon quitterait sa chrysalide au printemps. Pierre, Jacques et Jean ne sont pas les spectateurs impudiques d'un événement hors du temps et de l'espace. C'est devant eux, pour eux que Jésus se métamorphose ? C'est pour leurs yeux, dans leurs yeux que se produit l'ineffable vision d’un Christ éclatant, un Christ divin, vision qui les pousse à quitter le statut de sympathisants, suiveurs enthousiastes ou hésitants, pour devenir des hommes de foi ? C'est donc pour eux et non "en soi" que retentit la voix : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le !».
Un fort parfum biblique
La montagne dans la Bible, c’est le lieu de la rencontre avec Dieu. Le lieu où les fondements de l'histoire se posent.
Moïse monte au Sinaï pour recevoir les tables de la Loi ; Elie sur le Mont Horeb, pour y recevoir la visite de Dieu. Les deux monts sont un même lieu symbolisant la rencontre avec Dieu. Et voilà nos deux prophètes montagnards en grande discussion avec Jésus. On peut symboliquement comprendre que Jésus entre en dialogue avec l’Ancien Testament - Moïse représentant le Pentateuque et Elie, les écrits des prophètes.
Christ seul
Le récit matthéen de la transfiguration est donné à la jeune Eglise de Palestine, encore un peu juive, pour dire que les paroles de Jésus sont aussi importantes que celles des plus grands de la Bible. Mais quand Moïse et Elie se retirent, c'est pour dire qu’il ne reste plus que le Christ. Lui seul exerce désormais sur le croyant l'autorité. Il ne s’agit pas de jeter à la poubelle l’AT, mais de le comprendre à la seule lumière du Christ. En ce qui me concerne, ce nouvel angle de lecture de l’AT est libérateur. Tout ce que je ne comprends pas, ce qui me choque, l’image du Dieu vengeur, le Dieu exterminateur, s’efface dans la lumière du visage resplendissant de Jésus ! Moïse et Elie s’en vont et avec eux mes questions sans réponses, mes révoltes. Il ne reste plus que Jésus qui m'explique les Écritures anciennes et nouvelles.
Le nouveau Moïse
Une autre ressemblance explique la présence de Moïse. Jésus est transfiguré sur la montagne comme Moïse le fut sur le Mont Sinaï. Quand Moïse est redescendu de la montagne, avec les tables de la Loi sous le bras, la peau de son visage rayonnait (Exode 34). Jésus, le visage éclatant de lumière, est donc le nouveau Moïse. Toutefois, il ne reçoit ni loi, ni commandements nouveaux, seule sa présence illumine le regard des disciples. La nouvelle loi, la nouvelle doctrine, la nouvelle religion, c’est lui, lui seul, sa personne même qui est parole et vie.
Le nouveau buisson
Moïse ne représente pas seulement la Loi, il est considéré comme le premier des prophètes de la Bible. Souvenez-vous, à Horeb, il découvre un jour un phénomène étonnant, un buisson qui flambe mais qui ne se consume pas (Exode 3). Là, sur cette montagne, Dieu dit son nom à Moïse, un nom à la fois proche et insaisissable : « Je suis celui qui suis - est-était-sera ». Pour la communauté matthéenne à la fois juive et chrétienne, l'association est évidente : Jésus brillant comme un soleil est le nouveau buisson ardent. C’est par lui, en lui seul que Dieu veut faire connaître son nom aux hommes : Dieu est AMOUR.
L'amitié de Dieu : antidote au suicide
Et Elie que vient-il ajouter ? Il est la figure des prophètes de la Bible. Lui aussi jadis s’était réfugié sur le mont Horeb, complètement déprimé, en pleine crise de foi, au bord du suicide. Dieu s’était approché de lui dans le murmure d’une parole d’amitié. En Jésus, le vieux code religieux de l'obéissance ne marche plus, nous sommes invités à une relation d’amour et de gratuité.
Le passé nous rattrape toujours
Pour les disciples, il y a donc une métamorphose à vivre. Pour Pierre en particulier… Pourquoi Matthieu situe-t-il le moment de la transfiguration, précisant « Six jours après » ?
Parce qu’il s’est passé quelque chose de très important 6 jours avant ! Au chapitre précédent, Pierre avait confessé Jésus comme « le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; mais il s’était égaré presque aussitôt, voulant empêcher Jésus d'aller mourir à Jérusalem (16.21). Le triste « Arrière de moi Satan !» avait alors retentit, changeant le pauvre Pierre en statue de sel ! Le tout n'est pas de confesser des mots ; il faut comprendre ce qu'ils signifient.
La transfiguration « 6 jours après » vient éclairer Pierre d’une lumière nouvelle, lui révéler l’identité profonde de ce Christ-Fils de Dieu qu’il croit connaître et posséder : il vient pour mourir, donner sa vie et jeter une lumière décisive sur cette vie, son sens, sa destinée.
Ce récit de la transfiguration du Christ en appelle à notre transfiguration, notre conversion. Et ce n’est pas une chose évidente à vivre, parce que, comme Pierre, nous avons tendance à enfermer le Christ, à lui bâtir des tentes et circonscrire ainsi sa souveraineté. Nous aimons le figer dans l’image qui nous convient. Comme dit un grand théologien libanais Grégoire Haddad: il faut libérer le Christ des chrétiens et de l’Eglise pour qu’il puisse redevenir pour notre monde, parole de vie, salut et liberté !
Laissons-nous transfigurer par Jésus seul, laissons-nous convertir à ce Christ-là, Fils et parole du Dieu vivant, notre frère. Amen !