Le sermon du lendemain

Lundi 20 février 2017

Justiciers ou justifiés ?

Matthieu 5.17-47

Matthieu 5.3-13

3 Heureux (vivants !) les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !

4 Heureux (vivants !) ceux qui pleurent, car ils seront consolés !

5 Heureux (vivants !) ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre !

6 Heureux (vivants !) ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés !

7 Heureux (vivants !) ceux qui sont compatissants, car ils obtiendront compassion !

8 Heureux (vivants !) ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !

9 Heureux (vivants !) les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu !

10 Heureux (vivants !) ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le royaume des cieux est à eux!

Retour aux béatitudes ! Il ne faudrait jamais s'en éloigner. L’enseignement de Jésus est tout entier contenu dans ces 8 paroles. Bien plus qu’un résumé de son enseignement, bien plus que la vitrine de l’Evangile, les béatitudes sont le testament du Christ. Il faut sans cesse y revenir, s’en imprégner, les apprendre par cœur et les réciter en malgache, en français ou en arabe ou en béarnais, le plus souvent possible. Elles donnent les clés du Royaume des cieux !

La preuve par quatre

Avez-vous remarqué qu’il y a quatre béatitudes négatives (rouge) et  quatre positives ? Quatre qui renvoient à des manques et quatre à des pleins !

Commençons par les béatitudes en forme de creux : "Heureux les pauvres en esprit, les affamés et assoiffés, ceux qui pleurent, les persécutés. Quatre affirmations du bonheur par le manque : pas très populaire dans un programme de campagne à l’élection présidentielle !

Le trop et le manque

Sommes-nous désireux d'un bonheur qui s'enracine dans la reconnaissance de  l'indigence, du manque fondamental ? Nous sommes éduqués depuis notre plus jeune âge à l’acquisition de l’indépendance. Nous passons notre vie à combler des vides, qu'ils soient intellectuels, affectifs, familiaux ou bancaires. Jésus ici nous invite au mouvement inverse. Il affirme qu’il est impossible de faire du bien autour de nous, d’accueillir et d’aimer en vérité si l’on ne fait pas soi-même l’expérience du manque. Quand nous nous plaçons du côté du plein, de la maîtrise et du savoir, nous ne donnons jamais que de notre trop, de notre superflu, et ce faisant, nous ne donnons rien de nous-mêmes.

Le plein et l'abondance

Jésus nous invite à passer d’une logique du plein à une logique de l’abondance. Je m’explique. Le plein a tendance à s’entretenir lui-même, à grossir ; le plein c’est l’image du barrage hydraulique qui retient l’eau stagnante. L’abondance, elle, c’est plutôt un ruisseau qui déborde et irrigue les terres aux alentours ! Le chrétien est débordant de reconnaissance, non pas pour ce qu’il possède, mais pour ce qu’il reçoit par grâce. Ce rapport  gratuit à l’abondance nous rend brûlant du désir de partager ! Soyons des chrétiens en crue sœurs et frères, débordant des grâces que nous puisons en Christ !

Voilà à quelle attitude nous appellent ces quatre béatitudes négatives : elles nous aident à creuser en nous l'espace existentiel et théologique de l’abondance et de la reconnaissance.

Affamés de justice

Observons de près maintenant la béatitude qui appelle heureux ou vivants,  "les affamés et assoiffés de justice.»

Qu’est-ce que ça veut dire « être assoiffé, affamé de justice » ? Il y a deux manières de le comprendre…

Jésus nous inviterait-il à nous engager contre toute forme d’injustice ? A rechercher pratiquement la justice ? Le chrétien aurait ainsi l’obligation à s’engager en politique contre toute forme d’injustice ! De nombreux passages de l’AT pourraient être cités. Le chapitre 24 du livre du Deutéronome en particulier qui fait de la défense de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve une obligation légale et une source de bénédiction ».

Libération ?

La théologie chrétienne de la libération qui s’est engagée pour la cause des noirs aux US dans les années 60 ou aujourd’hui pour la cause palestinienne, donne à cette béatitude un sens militant. Même si la lutte contre toute forme d'oppression reste un axe majeur de l’engagement chrétien, je ne crois pas que Jésus nous invite ici à une théologie de la libération.

Une justice qui vient d'en haut

Dans cette même disposition intérieure du vide et du manque, les affamés, les assoiffés de justice, sont plutôt ceux qui attendent l’intervention de Dieu, ceux qui souffrent en silence de l’absence de justice en ce monde ; ceux-là reçoivent la promesse d’être un jour rassasiés.

Une scène de ce même évangile de Matthieu, racontée au chapitre 3 donne du poids à cette interprétation.

Quand Jésus rencontre Jean le baptiste au Jourdain, ce dernier refuse de le baptiser, Jésus lui apparaissant trop saint. Jésus va alors prononcer une parole qui va nous aider à comprendre le sens du mot justice : « Laisse faire maintenant, c'est ainsi qu'il convient que nous accomplissions toute justice. » (3.15)

C'est en se faisant baptiser que Jésus accomplit la volonté de Dieu : Dieu estime que la vraie justice se manifeste dans la solidarité de son fils avec les pécheurs. Accomplir toute justice, aller au bout de la justice, c’est donc pour Jésus se mettre à la place des pécheurs, prendre la place des injustes. C’est une justice qui justifie et non une justice qui exige.

Jésus ne nous invite pas à devenir des justiciers en ce monde, mais des mendiants de la justice, celle qui se trouve en Christ seul : pas des justiciers mais des justifiés ! Ainsi, être affamés et assoiffés de justice, c’est nous placer sous la grâce de Dieu et non sous le régime toujours décevant du militantisme social ou de la religion des œuvres. Ayons faim et soif du salut gratuit offert en Jésus-Christ ! Amen !

Ces pas dans le sable sont ceux de la justice de Dieu venant à nous en Jésus-Christ. Nous sommes invités à prier en silence pour l'établissement de cette justice pour tous".