Le sermon du lendemain

Lundi 12 décembre 2016

La patience est une question de souffle

Épître de Jacques 5.7-11 (TOB)

7 Prenez donc patience, frères, jusqu’à la venue du Seigneur. Voyez le cultivateur : il attend le fruit précieux de la terre sans s’impatienter à son propos tant qu’il n’en a pas recueilli du précoce et du tardif. 8 Vous aussi, prenez patience, ayez le cœur ferme, car la venue du Seigneur est proche. 9 Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, pour éviter d’être jugés. Voyez : le juge se tient aux portes. 10 Pour la souffrance et la patience, le modèle à prendre, frères, ce sont les prophètes, qui ont parlé au nom du Seigneur. 11 Voyez : nous disons bienheureux les gens endurants ; vous avez entendu l’histoire de l’endurance de Job et vu le but du Seigneur parce que le Seigneur a beaucoup de cœur et montre de la pitié.

Entre prédicateurs de passage à Beyrouth et un long déplacement, je n'ai guère eu l'occasion de prêcher ces derniers dimanches, mais je suis de retour et me réjouis de vous retrouver en ce lendemain de troisième dimanche de l'Avent. Au menu, l'exhortation de l'apôtre Jacques à prendre patience. Un premier piège à éviter,  la pensée pieuse : « Soyez patients ! Il est bon pour vous d’endurer la souffrance, la maladie, l’injustice, la misère ; si vous tenez bon, vous serez jugés dignes de la rétribution à venir ! ». J'entends autre chose dans cet appel, comment vous dire...

Le sens des mots

Les questions de traduction tout d'abord. « Soyez persévérants ! » : l’accent est ici placé sur le courage personnel, l’engagement. « Soyez patients ! » évoque davantage l'attente passive dans la souffrance. Mais dans les deux cas le verbe « être » avec ses "soyez ceci, soyez cela" nous fige dans une posture définitive et fatalement intenable. Je préfère la traduction plus dynamique : « Prenez patience !». Une voie s’ouvre quelque part entre le subir et l’agir, entre la passivité et l’agitation. Merveille de la langue française.

« Prenez patience !» (4 x dans le passage), signifie littéralement : « Ayez le souffle long !»

Pour l’apôtre Jacques culturellement très empreint de judaïsme, l’expression renvoie à l’hébreu où "être patient", c’est  "avoir le nez long" ; le "nez" en hébreu, c'est l'expression de la colère. Ainsi, plus le nez est long et plus la colère tardera à sortir !

Le choix des images

L’image de l’agriculteur qui attend le fruit de la terre parle sans doute à celles et ceux qui jardinent, mais les vrais agriculteurs se font rares aujourd’hui. Pour expliquer ce que patience veut dire, restons sur l"étymologie du souffle long. Prenons  l'exemple du marathonien.

La course est un peu à l’image d’une vie. Il y a d’abord les longs mois de préparation ; c’est un peu le stade de l’enfance : on apprend, on progresse, on se transforme, devenant chaque jour un peu plus fort. Puis sonne l’heure du départ…

La grande course de la vie

Tout au long de la longue course (42.195 km), le concentré d’une longue vie, on va traverser des moments très différents. Les 10 premiers kilomètres vous donnent un sentiment de toute-puissance, d'invincibilité ! Mais gare à celui qui va accélérer son rythme : la course ne fait que commencer.

Il peut arriver aussi que l’on traverse un moment d’exaltation. Cela m’est arrivé une fois au 22e kilomètre : j’avais l’impression de voler au-dessus de la route ; je parlais à tout le monde ; l’état de grâce ! Ce genre d’expérience un peu mystique peut arriver aussi dans la vie. Mais le marathon, c’est avant tout une affaire de bonne gestion. Foulée après foulée, il faut veiller à s’alimenter, à boire régulièrement, à surveiller sa progression, sa cadence, son rythme cardiaque, un peu comme on gère mille détails d’une journée normale.

Puis arrive la fatigue, le doute, l’épreuve. Tous les marathoniens le savent, il y a le mur du 35e km. Certains coureurs atteignent alors le cap de l’épuisement et finissent la course en marchant ; d’autres se couchent au bord de la route et abandonnent (les invincibles du début !). Combien sommes-nous assis au bord de notre vie, épuisés, découragés, sans espérance ?

Le marathon, c’est enfin, bien sûr, la délivrance de l’arrivée, la joie de retrouver ceux qui, inquiets, nous ont attendus !

Cette image du marathon m’aide à comprendre ce que Jacques appelle la patience. Parce qu’au fond ce qui nous préoccupe tout au long de la vie, ce n’est pas la ligne d’arrivée, le jugement dernier ou l’au-delà. Nous serions alors comme les riches que Jacques fustige au début de ce chapitre 5 : ils réduisent la vie à leur compte en banque. Le chrétien n’est pas quelqu’un qui méprise la vie présente en convoitant les rétributions à venir.

C'est ici que ça se passe !

Ses pensées, son énergie, sa foi se laissent mobiliser par les enjeux du présent. Aujourd’hui ! Ici ! maintenant ! Voilà l’espace où se joue ce que nous allons être et ce que nous allons devenir. Chaque moment de cette vie, chaque souffle, chaque pas, chaque point d’équilibre et de déséquilibre deviennent une fin en soi, un enjeu majeur, un combat, une promesse. « Prendre patience », « avoir le souffle long », ce n’est donc pas rester passif en attendant le ciel, c’est vivre avec détermination et passion (patience vient du latin lapathium = passion).

La formule est paradoxale : « Prenez patience parce ce que la venue du Seigneur est proche ! » (v.8) Habituellement, on s’arme de patience pour ce qui tarde à venir, pas pour ce qui est sur le point d’arriver. Ce paradoxe exprime toute la complexité, toute la subtilité de la vie chrétienne. Nous attendons ce que nous sommes déjà en train de vivre.

Le mur du 35e kilomètre

Mais il arrive que le souffle devienne court. L’impatience, le découragement prend alors les commandes : frères ne gémissez pas (litt. ne grognez pas !) les uns contre les autres (v.9) ! S’impatienter, c’est reprendre l’histoire à son compte (comme le riche avec son compte en banque) ; l’impatience dérègle notre rapport au temps et aux autres ; elle nous enferme dans la tyrannie de l’urgence et empoisonne nos relations.

La patience, au contraire, élargit notre champ de vision ; l’autre, n’est plus limité à ce que j’en perçois ; il est infiniment plus ; pour le voir tel qu’il est, pour le reconnaître comme un frère, la médiation de la patience s’impose. Nous voyons là poindre une nouvelle dimension de l’attente, celle du désir. La patience chrétienne s’enracine dans le désir, elle nous porte fatalement à la rencontre.

Job et les prophètes

On pourrait en rester à ces considérations générales. Mais qu’en ferions-nous ?

L’apôtre Jacques est un pragmatique. Il sait que les théories font rarement de bons disciples. C’est pourquoi, il nous donne deux exemples pour la route : Job et les prophètes.

Job, c’est le cri de celui qui fait l’expérience brutale de l’absurde. Job, c’est aussi le cri de la résistance au prêt à penser et au prêt à croire. Job témoigne que l’existence est complexe, qu’elle est indéchiffrable. Job, c’est l’expérience ultime de la rencontre avec Dieu ; elle se produit sur le lieu désertique de l’absence de certitudes. Job à bout de souffle, c’est l’attente de notre humanité au bord du précipice. Peut-être est-ce la vôtre en ce moment…

Les prophètes ? Ce sont les activistes de la parole de Dieu ! Deleuze disait qu’avoir une idée est un événement rarissime. Avoir une idée c’est une espèce de fête ! L’idée pour lui est un pur acte de création. C’est de cette façon que je me représente la parole des prophètes : elle est rare, en ce qu’elle survient du milieu de nulle part ou à contre-courant des idées reçues, chargée d'une puissance inouïe, ressuscitant la vie et l'espérance là où il n’y a plus que ruines. La parole des prophètes, c’est Esaïe, annonçant le point du jour au peuple qui marche, épuisé, dans la longue nuit. C’est Jean-Baptiste saluant en le cousin de Nazareth, la présence du sauveur du monde. Rien, plus que la parole n’a cette puissance créative, réformatrice. Nos œuvres protestantes, nos activismes socio-culturo-éducatifs et autres projets humanitaires gagneraient à ne pas l’oublier...

La parole des prophètes, le cri de Job, c’est le souffle long du Christ marchant à nos côtés jusqu’au bout de la nuit, jusqu’à perdre haleine, jusqu’à rendre le souffle. Prendre patience, c’est revêtir Christ, nous laisser inspirer par son souffle. Notre monde n’a pas seulement besoin d’entraide et de fraternité, il a besoin de Parole, de souffle, de vision. Prenez patience sœurs et frères ! Que ce temps de l’Avent soit pour nous partage d'une Parole, partage du Seigneur Jésus-Christ et vie dans l’Esprit ! AMEN !

 

 

 

Ces pas dans le sable sont les avancées de la patience dans nos vies. Non pas ceux d'une vertu morale à cultiver, mais ceux du Christ marchant à nos côtés jusqu'au bout de la nuit.